
14 meurtres de femmes depuis le début de l’année, selon les associations de défense des femmes
Les associations de défense de la cause féminine s’inquiètent des conséquences du confinement, dont les femmes pourraient payer un lourd tribut.
Samedi 4 avril. Bouzaréah (Alger). Se servant de son arme de service, un policier a tiré cinq balles en direction de son épouse, devant leurs quatre enfants. Elle n’y survivra pas.
Lundi 6 avril. Zahana (Mascara). Un homme agresse sa femme avant de la jeter du deuxième étage de leur immeuble.
Mardi 14 avril. Ouled Aiche (Rélizane). Une femme ayant reçu des coups de couteau de son fils de 25 ans succombe à ses blessures.
Lundi 20 avril. Douar Bouras (Chenoua). Un homme trentenaire, dont les voisins louent le caractère calme et pondéré, agresse son épouse à l’arme blanche. Ils avaient trois enfants.
Ce n’est là qu’un infime échantillon de ce que subissent certaines femmes derrière les alcôves en cette situation exceptionnelle liée à la pandémie.
Récemment, une chanteuse de raï, connue en tant que cheba Nivin, s’est filmée dans un hôpital de Sig, présentant des lésions sur le visage et sur le cou. «Mon mari m’a donné sept coups de couteau, dit-elle, partout sur le corps. Grâce à Dieu, je suis enceinte et je suis toujours vivante. Je ne retournerai pas chez lui, il a voulu me tuer», affirme-t-elle à partir de son lit d’hôpital.
Les associations de défense de la cause féminine s’inquiètent des conséquences du confinement, dont les femmes pourraient payer un lourd tribut. Le collectif Femmes algériennes vers un changement pour l’égalité (Face) a publié un communiqué s’indignant contre aux violences que subissent les femmes dans leurs familles et qui, selon des témoignages, accusent une hausse inquiétante en cette période de confinement.
«Nous exhortons les pouvoirs publics à prendre leurs responsabilités en mettant en place les mesures nécessaires pour que cessent les violences faites aux femmes et aux enfants», peut-on lire dans le communiqué en question. Les associations ont répertorié 14 «féminicides» (mot désignant l’assassinat de femmes parce qu’elles sont des femmes) depuis le début de l’année. Un chiffre qui ne recouvre pas, selon elles, la réalité, puisque nombre de cas ne seraient pas reconnus.
Le fait est, par ailleurs, que les autorités publiques ne communiquent plus les statistiques relatives aux violences contre les femmes depuis 2013. Dans une vidéoconférence ayant regroupé Louisa Aït Hamou, membre du réseau Wassila, et Fatma Boufenik, présidente de l’association Femmes algériennes revendiquant leurs droits (Fard), les militantes déplorent le peu d’information dont elles disposent sur ce sujet. «Nos écoutantes expliquent qu’il n’y a pas particulièrement plus d’appels qu’avant le confinement.
Cela ne veut pas dire que le nombre de violences ait baissé, mais les femmes ont plus de mal à prendre le téléphone car elles sont en permanence en présence de leurs bourreaux», souligne Louisa Aït Hamou.
Les associations ont néanmoins maintenu leurs centres d’écoute en cette période particulière. «Nous avons, au sein du réseau Wassila, une juriste et une psychologue qui travaillent de chez elles», précise Louisa Aït Hamou. Le réseau Wassila enregistre entre 900 et 1000 appels annuellement, dont un tiers de nouveaux cas.
«Pendant la période de confinement, explique la représentante du réseau Wassila, les écoutantes disent qu’elles ont deux à trois appels par jour de nouvelles victimes de violences, mais pour le reste, ce sont les femmes que nous suivons depuis quelques semaines, quelques mois ou, parfois, depuis des années. Au total, il y a près de dix nouveaux appels par semaine, et à peu près le même nombre d’appels des victimes que nous suivons depuis quelque temps.»
A peu près la même tendance est enregistrée par l’association Fard basée à Oran. «Après avoir diffusé les numéros sur les réseaux sociaux, souligne Fatma Boufenik, nous avons deux à trois nouveaux appels par jour. La question qui se pose est de savoir si ces appels sont liés à la crise sanitaire ou si c’est parce que le numéro est devenu public.
Ce qui est sûr, c’est que les femmes qui appellent évoquent la nouvelle situation liée à l’instauration du couvre-feu. Je considère que le plus important ne réside pas dans les statistiques. Les données sont nécessaires pour mettre en place des solutions et des stratégies. Le confinement aggrave la situation déjà existante», détaille-t-elle.
«Cocotte-minute»
Selon les association, c’est une situation complexe à laquelle les femmes violentées sont confrontées. Les femmes victimes de violences sont contraintes de rester, plus que d’ordinaire, en présence de leurs bourreaux. Elles ne peuvent, de ce fait, pas prendre le téléphone pour alerter les associations pour avoir un conseil ou une oreille attentive.
«Il est plus difficile pour les femmes de prendre le téléphone et d’appeler le centre d’écoute car elles sont pratiquement 24h/24 avec leurs bourreaux (qui peut être le mari, le frère, le père…), dit Louisa Aït Hamou. «Lorsqu’elles les rappellent, nos écoutantes sentent à quel moment elles ne peuvent pas parler.» En temps de crise, et c’est un fait démontré partout dans le monde, disent-elles, il est avéré que les violences contre les femmes augmentent presque systématiquement.
«Nous ne voulons pas attendre que des désastres arrivent pour alerter», dit Louisa Aït Hamou. Et d’ajouter, inquiète : «Nous craignons ce que va révéler l’après-confinement : la cocotte-minute va alors éclater et nous allons voir tout ce qui s’est passé.» La situation est d’autant plus complexe que les victimes de violences peinent à déposer plainte. Quand bien même elles réussiraient à le faire, la procédure serait ralentie du fait que le secteur judiciaire travaille à minima.
Souvent, les femmes violentées n’ont d’autre choix que d’accepter leur sort car elles n’ont pas où aller. Aussi est-il nécessaire, insiste Fatma Boufenik, en cette période de confinement, de mettre en place un numéro vert fonctionnel que les victimes peuvent joindre à partir de tous les opérateurs téléphoniques. «Il y a beaucoup à faire en matière de prévention. La mise en place de numéros verts fonctionnels avec des personnes compétentes pour orienter et soutenir les femmes, est l’une des priorités.
C’est un travail que les associations seules ne peuvent pas faire», dit Louisa Aït Hamou. Les défenseuses des droits des femmes réclament également une révision du protocole d’accès dans les centres d’hébergement des femmes victimes de violences. Elles appellent à la prise en charge rapide des victimes par les institutions concernées (services de police, gendarmerie et justice) ainsi que la mise en place temporaire de centres d’accueil des victimes de violences domestiques. Il y en a six sur le territoire national, dont certains ne sont pas opérationnels.
Louisa Aït Hamou s’élève contre les conditions d’accueil des femmes violentées. «Certains ressemblent à de véritables centres de détention, dit-elle. C’est dommage, car ces établissements devraient servir à aider ces femmes à sortir de la violence, à reprendre confiance en elles, devenir autonomes : il est important de les laisser sortir pour chercher du travail et d’accepter leurs enfants…
Or, dans la grande majorité des centres dépendant du ministère de la Solidarité, la présence des enfants est interdite. Que devraient-elles faire ? Laisser leurs enfants à la rue ? C’est intolérable.» La représentante du réseau Wassila rappelle qu’encore aujourd’hui, il est des familles qui ont du mal à accepter leur fille divorcée ou séparée.
Fatma Boufenik détaille quelques dispositions à instaurer immédiatement afin d’éviter les drames : «Il y a des mesures à instaurer immédiatement et qui devraient être inscrites dans une démarche d’intérêt stratégique. Autrement, nous allons être condamnées à faire les pompiers. Nous voulons être reconnues en tant qu’acteurs dans la réflexion pour les politiques publiques qui permettent la promotion des femmes. Nous n’avons aucun pouvoir que celui d’interpeller les pouvoirs publics sur ces situations.»
Au-delà des violences physiques, Louisa Aït Hamou met en garde contre les dommages psychologiques que peuvent subir les femmes en cette période particulière. «La violence n’est pas seulement physique, dit-elle, il y a des violences psychologiques faites d’humiliations diverses. Cela a des conséquences terribles sur les femmes. C’est une destruction progressive.»
Si elle reconnaît qu’il y a eu quelques acquis législatifs depuis 2015, grâce aux combats féministes, elle regrette que peu d’avocats et de magistrats se sont saisis de la question. «Il faut des mesures d’application, préconise-t-elle. Dans cette loi, il y a la clause du pardon, que nous dénonçons.»
Par ailleurs, Louisa Aït Hamou dénonce les vidéos dans lesquelles les hommes se griment avec un tablier, un foulard et un seau, pour faire la parodie des rôles inversés en cette période de confinement. «C’est là une violence symbolique grave, c’est scandaleux, dénonce-t-elle. C’est un appel à la haine qui est révélateur d’une complicité d’une partie de la société.» Et de soupirer, affligée : «Oui, il y a beaucoup de travail à faire.»
Elwatan.com
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